Mois : Septembre 2018
Le thème choisi cette année par l’ADBU pour son congrès annuel, la BU comme « catalyseur de la réussite étudiante », est symptomatique des réflexions en cours. La bibliothèque a-t-elle encore un rôle à jouer dans nos sociétés où tout semble à portée de clic pour l’étudiant ? Quel est l’intérêt de maintenir de telles institutions à l’image vieillissante, dotées d’une carrure intimidante, reflet du monde hiérarchisé des siècles passés ? Les professionnels des bibliothèques ont entamé depuis plusieurs années une lutte sans merci afin de redynamiser des lieux qui semblent bien peu attractifs aux yeux de la société et difficilement en phase avec les nouveaux comportements des étudiants. Les réflexions pour transformer les BU françaises en 3e lieu se sont multipliées en conséquence.
Et pourtant, les chiffres sont là pour démentir ce jugement hâtif porté par une société uniquement préoccupée par la transition numérique. Ce n’est pas un hasard si les indicateurs communs à la plupart des pays européens abordent la question centrale de la fréquentation physique de ces fameux temples du savoir. La récente synthèse présentée en mars 2018 disponible sur le site en révèle l’importance.
Télécharger l’Étude des indicateurs européens
L’indicateur mettant en rapport le nombre d’entrées physiques à la bibliothèque universitaire sur le nombre total d’étudiants inscrits dans l’établissement mérite en effet toute notre attention. Entre 2013 et 2016, on constate une hausse moyenne de 12,2% au sein de l’ensemble des pays européens observés, alors qu’on pourrait assister à un total désintérêt envers ces hauts lieux du savoir institutionnel. La dématérialisation des ressources et services n’est-elle pas déjà une invitation à rester chez soi ? Par ailleurs, l’étude ne prend pas en compte les chiffres de 2017, année de déploiement en France du Plan Bibliothèques Ouvertes+. Bon nombre d’établissements, du simple fait de l’extension des horaires d’ouverture, ont constaté une nette augmentation du nombre d’entrées. On pourrait pourtant observer un nombre d’entrées en stagnation, avec un public qui reste plus longtemps sur place. Cela signifierait que l’étudiant se déplace pour un besoin spécifique, à des horaires décalés, parce que, toujours pressé, salarié, membre d’une association, il dispose de peu de temps libre. L’extension des horaires est par exemple particulièrement appréciée des étudiants en alternance.
Cette fréquentation aurait-elle un impact sur la réussite des primo-entrants ? Certaines études ponctuelles, notamment à l’université de Toulouse en 2013, semblent le confirmer. Cette dernière se concentre sur l’emprunt de livres, ce qui suppose un passage physique à la bibliothèque. Nous manquons en revanche de données sur le lien entre le travail en BU, hors emprunt de documentation, et réussite étudiante. Des énoncés présents dans le questionnaire Libqual+ demandent aux répondants de noter entre 1 et 9 ce fameux impact qu’on souhaiterait tant démontrer. Il serait particulièrement intéressant de mener une étude comparative à l’échelle mondiale uniquement sur ces énoncés :
- « La bibliothèque m’aide à progresser dans ma discipline universitaire ou dans mon travail. »
- « La bibliothèque me rend plus efficace dans mes recherches universitaires ou dans mon travail. »
- « La bibliothèque m’apporte les compétences en matière de recherche d’information dont j’ai besoin dans le cadre de mon travail ou de mes études. »
- « De manière générale, je suis satisfait(e) du soutien que m’apporte la bibliothèque dans mes besoins d’apprentissage, de recherche et/ou d’enseignement. »
Ces appréciations dépendent en grande partie de la fréquentation physique des BU. L’indicateur choisi ce mois-ci a donc de beaux jours devant lui ! La récente synthèse du Plan Bibliothèques Ouvertes + présentée en juillet 2018 par le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de l’Innovation était à ce propos riche d’enseignements. L’échec de l’extension des horaires d’ouverture de la maison des étudiants à l’université de Tours, à proximité pourtant des résidences étudiantes, et le succès rencontré ensuite lorsque l’extension a concerné la BU, ont encore prouvé à quel point les étudiants ont besoin d’un cadre, d’une ambiance studieuse, et pas seulement de tables et de chaises !
Et c’est d’ailleurs le grand paradoxe que l’on peut tirer de ces observations. Alors que nous nous efforçons de nous défaire de ce symbole pesant légué par les siècles passés, l’étudiant semble toujours fasciné par le caractère institutionnel et encyclopédique de la bibliothèque. Les séries et les films anglo-saxons sont aussi là pour nous rappeler la place de la bibliothèque dans l’imaginaire de chacun. On oublie bien trop souvent son atmosphère à la fois familière et étrange, propice à la concentration. Même constat d’ailleurs lors de la journée d’étude sur l’accueil des lycéens en BU. Ces derniers se sentent déjà plus grands, dans une autre dimension, dès qu’ils franchissent la porte d’une bibliothèque universitaire. Le seuil de la BU constitue donc le rite de passage indispensable et incarne à lui seul la rupture et le continuum -3+3, facteur-clé de la réussite à venir. Les efforts pour transformer nos BU en 3e lieu permettent d’ailleurs de combiner intelligemment un cadre traditionnel et des équipements répondant aux nouveaux comportements des étudiants. Plutôt que d’opposer sans cesse numérique et présentiel, nous devrions nous préoccuper de leur complémentarité vitale pour la réussite de l’étudiant.