Les étudiants doivent-ils moins lire pour réussir ? La politique documentaire suivie par les établissements d’enseignement supérieur français pourrait le laisser croire. alors que le coût de la documentation académique augmente, les dépenses consacrées à l’achat d’ouvrages ne cessent de baisser, pénalisant en premier lieu les étudiants, mais aussi la recherche en sciences humaines et sociales ou en mathématiques. Côté documentation électronique, l’offre de e-books ne décolle pas, et si les dépenses pour l’abonnement à des revues en ligne continuent d’augmenter, certains établissements ont défrayé la chronique en 2015 en coupant drastiquement dans leurs dépenses documentaires de niveau recherche. Retour sur les principales conclusions de l’enquête annuelle de l’adbu sur les dépenses documentaires des bibliothèques universitaires (période 2002 – 2015).
72 établissements documentaires relevant du MENESR ont répondu à cette enquête (75 % du panel ciblé sur le périmètre de l’ESGBU, afin de prendre en compte une importante antériorité). Ils représentent une grande variété de tailles, de statuts et de disciplines couvertes. Les chiffres portent sur les dépenses réalisées entre 2002 et 2014, et sur les budgets prévisionnels 2015.

Les tendances relevées depuis 2010 se confirment avec un élément d’inquiétude supplémentaire cette année : celui de la baisse globale des budgets documentaires sur les 5 dernières années (- 3,72 %, soit – 3 millions d’euros sur le seul panel de l’étude)
Ainsi, depuis 2010, les dépenses consacrées à la documentation électronique ont augmenté de plus de 48 %, s’accompagnant d’une baisse quasi identique des achats de périodiques imprimés. Le principe de subsidiarité est parfaitement rempli dans ce cas : les revues en ligne, quand elles existent, remplacent de façon systématique les versions papier. Il reste néanmoins une part de périodiques imprimés non compressible, soit qu’ils n’existent pas sous forme numérique, soit que les lecteurs restent attachés au papier dans certaines disciplines, ou encore pour la lecture de la presse.

 

En revanche, pour ce qui est des ouvrages, la baisse des crédits (- 27,5 % en 5 ans, soit – 7 millions d’euros sur le seul panel de l’étude) est très inquiétante : faute de crédits, les BU françaises achètent depuis 2013 moins d’ouvrages imprimés qu’en 2002, lesquels constituent une véritable variable d’ajustement pour contrecarrer la hausse des coûts de la documentation électronique. Et les ouvrages, notamment en français, ne bénéficient que très rarement de versions numériques accessibles aux bibliothèques (inexistence, ou conditions techniques d’accès inadaptées ou trop complexes). Les livres constituent pourtant une ressource indispensable pour les étudiants (manuels) ou pour certaines disciplines (histoire, littérature,  mathématiques…). Une enquête menée à Toulouse en 2010 avait pourtant démontré, comme d’autres enquêtes britanniques, le lien corrélatif entre emprunts d’ouvrages et réussite des étudiants, indépendamment de l’origine socio-économique des individus considérés.

 

L’effet de ces différents éléments est double :

 

  • L’offre de ressources numériques, acquise en bouquets packagés par les éditeurs, apparaît souvent identique d’une bibliothèque à l’autre, et elle n’est pas adaptable aux besoins réels des établissements. Par ailleurs, l’impossibilité actuelle de procéder à du prêt entre bibliothèque pour ces documents territorialise considérablement une offre documentaire pourtant dématérialisée.
  • Les achats de monographies imprimées baissent (ce qui n’est pas sans conséquence pour les éditeurs), et donc nécessairement le nombre de titres différents et/ou d’exemplaires mis à disposition des étudiants, alors que l’on entend promouvoir, en France, une pédagogie inversée depuis longtemps pratiquée dans les pays comparables au nôtre. Or cette pédagogie implique, et l’accès à une documentation riche et variée, et un accompagnement méthodologique dans lequel les bibliothécaires ont un rôle à jouer.
Nous assistons donc à un appauvrissement généralisé de la documentation de niveau universitaire  en France. Et à des décisions budgétaires qui interrogent la réelle volonté d’accompagner la réussite étudiante.

 

Certains établissements ont défrayé la chronique cette année, car du fait de la baisse globale des budgets alloués à la documentation, il ne leur était plus possible, pour la première fois, de se limiter à baisser encore les acquisitions d’ouvrages, pour une large part effectuées à destination des étudiants : il a également fallu « tailler » dans les abonnements de niveau recherche.

 

Faudra-t-il que ces situations se multiplient pour que l’on prenne conscience du retard pris cumulativement par la France depuis maintenant plus de 5 ans ? Les rythmes de rotation de la production éditoriale s’accélérant, des dommages irréparables sont aujourd’hui causés à la richesse documentaire des BU françaises : ce qui n’a pu être acquis à sa sortie est très difficile à se procurer a posteriori. Il sera bien inutile dans quelques années d’évoquer son récent séjour aux USA pour mieux déplorer la situation française : c’est maintenant qu’il faut redresser la barre.

 

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