En 2018 paraissait l’étude « Indicateurs des Bibliothèques universitaires européennes ». Réalisée par le Cabinet Six et Dix, avec le soutien du MESRI et de l’ADBU, elle avait pour objectif de mieux connaître la situation des bibliothèques universitaires françaises par rapport à d’autres pays européens. Ce travail de comparaison ne portait que sur les années 2013 à 2016. Une synthèse des apports et des limites de cette étude est toujours disponible ici, ainsi que sa traduction en anglais.

Voici à présent une mise à jour, menée par le même cabinet, avec une méthodologie identique, pour les trois années suivantes. L’analyse couvre donc au total une période de 7 ans, de 2013 à 2019, avant les bouleversements de la crise sanitaire. Cette durée permet de mesurer davantage les évolutions sur le long terme des activités des bibliothèques universitaires en Europe. Les premières tendances identifiées de 2013 à 2016 se sont-elles confirmées ? Assiste-t-on au contraire à des changements notables à partir de 2017 ?

Le lecteur découvre ainsi une série de graphiques, repris dans les annexes du rapport. Les courbes représentant la situation française font l’objet d’explications diverses, facilitées par des éléments de contexte et une meilleure exploitation des données françaises. Cette dernière a été rendue possible par un travail conséquent piloté par le MESRI entre 2019 et 2021, associant notamment l’ADBU et le Cabinet Six et Dix : la rénovation de l’application ESGBU. L’objectif était de fiabiliser certaines données, de faciliter l’alimentation de l’application et son utilisation par l’ensemble de la communauté. Il a notamment été nécessaire de repenser la structuration de la saisie en fonction du périmètre de chaque entité responsable, dans un contexte mouvant de fusions et d’établissements publics expérimentaux. Cela a ainsi permis d’éviter que les mêmes effectifs étudiants soient saisis par différentes entités et comptés plusieurs fois. Rappelons aussi que dans la première étude, les effectifs des enseignants-chercheurs français ne prenaient pas en compte les contractuels et PRCE. Ces éléments ont été corrigés dans la mise à jour.

L’ESGBU présente aussi dans sa nouvelle application une page indicateurs, dont plusieurs correspondent aux indicateurs européens retenus dans l’étude. Les données, désormais accessibles immédiatement en ligne, sur plusieurs années, sont également accompagnées de commentaires rédigés par la structure documentaire et éclairant tel ou tel chiffre. Il est bien plus aisé de se comparer avec des structures documentaires et/ou des établissements de taille comparable en filtrant les résultats.

Si l’amélioration est notable pour les données françaises, il n’en est pas de même pour bon nombre de nos homologues européens. En examinant chaque graphique, le lecteur est bien souvent démuni pour interpréter l’évolution d’une courbe d’un des pays de l’étude. Il se retrouve dans la situation du grand vulgarisateur des théories de l’évolution Stephen Jay Gould qui, dans ses essais, n’avait de cesse de rappeler les difficultés pour interpréter telle ou telle évolution. Et plutôt que de partir de grandes généralités, il s’appuyait sur l’observation, l’analyse d’un exemple précis et déroutant, tel le sourire du flamant rose, dans son recueil éponyme[1]. Comme il le précise en introduction de cet ouvrage, l faut se méfier de lois naturelles simples, prévisibles et agissant en dehors de l’histoire. Pourquoi cet animal présente un bec l’amenant à s’alimenter la tête à l’envers ? Stephen Jay Gould part de l’environnement dans lequel a évolué le flamant. Il en est de même ici : ces courbes ne pourront faire l’économie d’une observation approfondie du paysage de l’ESR dans chaque pays, et des situations concrètes de saisie, avec l’aide des premiers contacts initiés.

A terme, il serait particulièrement important qu’une application similaire à l’ESGBU existe au niveau européen, permettant ainsi d’accéder librement aux données saisies par chaque responsable d’une structure, de les filtrer et de se comparer avec des établissements comparables. La première étude alertait aussi sur la difficulté d’exploiter les indicateurs présentant une moyenne européenne.

Le réseau d’interlocuteurs européens constitué en 2017 a fait preuve de réactivité pour transmettre les chiffres des années 2017 à 2019, lorsque ceux-ci n’étaient pas disponibles en ligne. D’autres ont manifesté leur intérêt, même s’ils n’ont pas pu répondre dans les temps et/ou pour toutes les années, tels la Belgique et le Luxembourg. La première dynamique impulsée et confirmée lors de cette mise à jour nécessite d’être entretenue, étendue et approfondie. Les données suédoises ont pu être traduites et exploitées, ce qui n’était pas le cas dans la précédente étude. La Grèce a également pu être ajoutée. Il faudra de nouveau solliciter l’Italie, le Portugal, la Roumanie, la République tchèque ou la Pologne.

Ce travail poursuivra le partenariat initié avec LIBER depuis plusieurs années : mieux connaître nos homologues européens, expliquer des données quantitatives et les compléter par des éléments qualitatifs. L’accord cadre Memorandum of Understanding signé par l’ADBU et LIBER en 2021 a notamment pour objectif de présenter des indicateurs clefs de performance, certes autour de la science ouverte, mais ces échanges permettront par la même occasion d’approfondir certains contacts au niveau européen et d’en créer de nouveaux, pour les interroger sur des données et indicateurs aux thématiques plus larges.

Par ailleurs, Stephen Jay Gould souligne dans ce même recueil l’importance de la taxinomie, ou science des classifications. Ce point de vigilance est particulièrement intéressant à transposer dans cette étude. Les indicateurs et données exploités s’inspirent des normes ISO 2789 et 11620. Mais ces dernières s’appliquent à des activités « vivantes » qui évoluent dans le temps. Ce ne sont pas des données figées. Prenons un exemple : les utilisations d’espaces, ressources ou services sur place doivent être de plus en plus mises en regard de leur déclinaisons dématérialisées. Cela suppose une mise à jour régulière de ces normes, suivie d’une traduction française à plus ou moins long terme. La Commission AFNOR CN 46-8 s’en préoccupe en ce moment même pour les normes ISO 2789 et 11620 mises à jour en anglais. Derrière chaque définition, chaque mot, les éléments considérés peuvent changer et les catégories, classements jusqu’à présent établis doivent être repensés. Les bibliothèques universitaires multiplient les activités au-delà de leur périmètre traditionnel, avec de nouveaux partenaires. L’appui à la recherche et la politique en faveur de la science ouverte sont par exemple de nouvelles activités et orientations qui ne se traduisent pas encore dans les normes utilisées. Ces dernières privilégient encore majoritairement la documentation payante et la notion d’efficience.

Le phénomène d’accélération des évolutions entraîne également un certain décalage entre ce qui est mesuré par une norme et l’activité réelle, d’autant que ces mises à jour des normes prennent du temps. La transformation de la pédagogie en témoigne, avec notamment le développement de formations asynchrones, hybrides… ce qui suppose de repenser certains indicateurs orientés sur le nombre d’heures de formations assurées en temps réel. Le MESRI, particulièrement attentif à ces évolutions, améliore chaque année les données renseignées dans l’ESGBU, par l’intermédiaire de groupes de travail sur des thématiques spécifiques telles que les archives ouvertes ou les ressources numériques. Des focus ponctuels peuvent aussi enrichir les données renseignées chaque année. En parallèle, un groupe de travail est lancé au sein de l’ADBU pour se saisir de la question d’indicateurs autour de la science ouverte.

Face à l’ensemble de ces interrogations, comment exploiter dans l’immédiat les conclusions de cette étude ? Si ce travail fin à réaliser avec les partenaires européens demandera du temps, il n’en reste pas moins que cette mise à jour confirme les premiers constats inquiétants tirés en 2018. Dans de nombreux graphiques, la courbe de la France révèle une situation très en deçà de celle des autres pays de l’étude. Il est donc manifeste que les moyens humains et financiers attribués aux bibliothèques universitaires françaises ne sont pas à la hauteur des enjeux de l’ESR. Pourtant, les efforts sont visibles, que ce soit en termes d’augmentation des horaires d’ouverture avec le Plan Bibliothèques ouvertes+ depuis 2016, ou de formations assurées auprès des usagers. L’objectif sera donc dans un premier temps de souligner auprès des tutelles le risque de décrochage des bibliothèques universitaires françaises, alors que la population étudiante est en augmentation et que les budgets de l’Etat sont sous tension. Obtenir davantage de moyens supposera également une réflexion plus approfondie sur l’évaluation des usages et la mesure de l’impact des bibliothèques universitaires sur la réussite étudiante et l’appui à la recherche.

Le webinaire programmé le 5 avril 2022 a permis de soulever de nouvelles problématiques et d’envisager d’autres pistes d’actions possibles :

  1. Si la taille des établissements et des structures documentaires fait partie des éléments indispensables à prendre en considération pour une meilleure comparaison, qu’en est-il des logiques disciplinaires ?  La possibilité de renseigner les domaines disciplinaires d’une bibliothèque est par exemple possible dans l’ESGBU. Mais la dynamique en cours des fusions et des établissements publics expérimentaux rend encore plus difficile cet exercice. Bien souvent, les indicateurs sont le reflet d’un réseau de bibliothèques regroupant plusieurs disciplines, à différentes échelles du territoire. D’autres établissements mettent en place des parcours pluridisciplinaires, au-delà des périmètres classiques, plus faciles à identifier dans le paysage éditorial.
  2. La question de la disponibilité en ligne des données brutes exploitées pour la construction d’une donnée ou d’un indicateur est une autre piste intéressante. Des dépôts seraient par exemple possibles sur Zenodo. Reste à déterminer ce qui relève de l’open data et ce qui n’en relève pas, avec un accord préalable indispensable. Ce dernier cas s’est par exemple présenté avec le Royaume-Uni. Dans l’ESGBU, les données sont disponibles en ligne, mais pas les consignes saisies localement et donnant des indications sur la construction de telle ou telle donnée.
  3. La sensibilisation aux normes exploitées dans cette étude est une autre difficulté : ces informations ne sont pas disponibles en ligne. Elles supposent un achat auprès de l’éditeur.La lenteur des traductions en français ne facilite pas non plus un partage de bonnes pratiques et d’harmonisation des consignes, bien souvent méconnues. Les normes ISO 2789 et 11620 font d’ailleurs actuellement l’objet d’une mise à jour, dans leur version en anglais, ce qui supposera de repenser les données et indicateurs exploités dans cette étude.
  4. Le degré de fiabilité a également été interrogé : des codes couleurs permettent de voir que de nombreux indicateurs dans ce rapport sont moyennement fiables. Comment s’assurer que les analyses de l’étude ne sont pas faussées ? Il est alors nécessaire de se concentrer sur les tendances, qui, d’un pays à l’autre, présentent des courbes cohérentes sur les sept années observées. L’absence de données sous prétexte que leur degré de fiabilité n’était pas suffisant n’aurait jamais permis à une telle étude de voir le jour. L’effort doit donc se poursuivre pour partager et diffuser ces informations à l’échelle européenne.

 

Nelly Sciardis, Directrice adjointe du SCD de l’UPHF et Pilote de la Commission Pilotage et évaluation

[1] https://www.sudoc.fr/192525425

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