Sur le front du droit de l’information
De nouvelles dispositions en matière de droit de l’information … Elles ont déjà ou sont susceptibles d’avoir
prochainement un impact pour les bibliothèques universitaires et de recherche.
Voici 5 points retenus aujourd’hui.
1 – Libre accès et TDM dans le projet de loi pour une République numérique
Le texte adopté en 1ère lecture par l’Assemblée nationale a été remis au Sénat. Le Gouvernement ayant engagé une procédure accélérée, il n’y aura pas de 2electure mais probablement l’arbitrage d’une commission mixte paritaire avant l’adoption définitive de la loi.
Du texte du 26 janvier 2016, on retiendra les dispositions sur le libre accès aux écrits et aux données scientifiques (art. 17) et sur l’exploration de données ou Text and Dataming (TDM) (art. 18 bis).
La loi autorise un libre accès à l’écrit scientifique issu d’une
activité de recherche financée au moins pour moitié par des fonds publics et paraissant dans une publication périodique, même si son auteur avait accordé des droits exclusifs à un éditeur. Il peut s’agir de la version finale acceptée pour publication mais pas de la mise en forme par l’éditeur, et l’écrit, mis à disposition, ne doit pas donner lieu à une exploitation éditoriale commerciale. La mise à disposition peut être immédiate si telle est la politique de l’éditeur, à
défaut, 6 mois après la publication dans le domaine des STM, 12 mois dans celui des SHS, dans un délai inférieur pour certaines disciplines (à définir par arrêté).
Les données issues d’une activité de recherche financée au moins pour moitié par des fonds publics et non protégées par un droit ou une règlementation (propriété intellectuelle, confidentialité, vie privée, etc.), une fois rendues publiques, pourront être réutilisées librement.
Aucun éditeur ne pourra s’opposer à ces dispositions.
On notera qu’aucune obligation ne pèse sur le chercheur et qu’une étude d’impact sur l’activité éditoriale et
la circulation du savoir sera remise au Parlement.
Une exception au droit d’auteur pour des activités de TDM
figure à côté d’une exception autorisant « les reproductions et représentations d’œuvres architecturales et de
sculptures placées en permanence sur la voie publique » (liberté de panorama). Cette exception appliquée à « des œuvres
réalisées à des fins non lucratives par des particuliers » peut être introduite dans notre droit car elle figure dans la liste des exceptions de la directive européenne sur le droit d’auteur de 2001 (article 3, h) non retenue par la France dans sa loi de 2006.
La question de la validité de l’exception autorisant les activités de TDM se pose, la directive européenne n’évoquant que
les fins exclusives « d’illustration » à des fins de recherche scientifique. La directive devrait être révisée
en 2015 et le TDM figure parmi les dispositions annoncées le 9 décembre 2015 par la Commission européenne. Mais introduire
aujourd’hui dans un Etat membre une exception ne figurant pas dans la liste de la directive de 2001 est pour le moins délicat, la liste en
question étant limitative.
Une exception en faveur du TDM a pourtant été introduite au Royaume-Uni en 2014. Mais elle a été conçue comme une mise enœuvre de la copie « raisonnable » autorisée au titre du fair dealing qui régit notamment Outre-Manche l’exception au titre de l’enseignement et de la recherche. S’appliquant aux sources auxquelles le chercheur a accès licitement, via un abonnement, par exemple, et à un usage non commercial, elle interdit toute mise à disposition ou transfert de la copie à des tiers. On note aussi que les résultats publiés peuvent inclure des « extraits », une notion entendue dans un sens plus large qu’en droit français.
En France, le texte de l’Assemblée nationale autorise « les copies numériques réalisées à partir d’une source licite
[à des fins de TDM] pour les besoins de la recherche publique » et contourne l’obstacle que représente le droit des bases de données, mais uniquement pour des fins non commerciales. Un décret fixera les conditions dans lesquelles le TDM peut être réalisé et ce qu’il adviendra de la conservation et de la communication des fichiers produits, une fois l’activité TDM terminée.
Le Sénat modifiera-t-il ces dispositions ?
Savoir plus
Les étapes de la discussion sur le site du Sénat et del’Assemblée nationale – Une intéressante étude d’impact du projet de loi – Les commentaires du Conseil national du numérique sur le texte adopté par l’Assemblée nationale. La communication de la Commission européenne du 9 décembre 2015 sur la révision du droit d’auteur.
Savoir plus
« Exceptions to Copyright. Research». Intellectual Property Office, October 2014.
2 – Open Data : une autre loi, la loi Valter
Le 28 décembre 2015, la loi Valter transposait la directive européenne de 2013 sur la réutilisation des informations du secteur public. Avec l’abrogation de l’article 11 de la loi Cada, les établissements et institutions d’enseignement et de recherche ne peuvent plus fixer les conditions de réutilisation de leurs données. Seuls les services publics industriels et commerciaux échappent désormais au régime commun, celui de l’ouverture des données publiques.Si la règle est l’ouverture, elle reste sous réserve de la propriété intellectuelle de tiers, de règles visant à protéger les données à caractère personnel, etc. Étonnamment, on n’y trouve pas d’obligation d’une mise à disposition numérique et, si ce devait être le cas, il faudrait simplement veiller à adopter un « standard ouvert et aisément
réutilisable (…) ».
Une redevance peut toujours être envisagée, avec un quasi statu quo pour certains opérateurs, comme l’Insee et l’IGN,
que l’on veut préserver, tout comme les accords d’exclusivité. Toutefois la transparence des accords est de mise et les conditionsimposées sont un peu plus strictes que dans la précédente loi Cada.
Ainsi, en matière d’exclusivité, si celle-ci est détenue par une personne privée dans l’exercice d’une mission de
service public, elle ne peut durer plus de 10 ans et son « bien-fondé » sera examiné au moins tous les 3 ans. Mais, accordée pourles besoins de la numérisation des ressources culturelles, l’exclusivité peut durer jusqu’à 15 ans et son bien-fondé réexaminé la 11e année, le cas échéant la 13e année Toutefois découlant d’un accord entre personnes publiques, l’examen du bien fondé de l’exclusivité n’intervient qu’à l’échéance des 11 premières années, puis tous les 7 ans. Sont notamment concernés par ces dispositions les partenariats publics-privés conclus par la filiale de la BnF (BnF-Partenariats).
La réutilisation peut donner lieu à une redevance lorsqu’elle porte sur « des informations issues des opérations de
numérisation des fonds et des collections des bibliothèques (…) et, le cas échéant, sur des informations associées lorsque
ces dernières sont commercialisées conjointement ». Le montant de la redevance, révisé tous les 5 ans, ne sera pas supérieur aux coûts de collecte, de production, de mise à disposition ou de diffusion, de conservation des informations et d’acquisition des droits de propriété intellectuelle (art. 5). Une licence est obligatoire lorsque la réutilisation est soumise au paiement d’une redevance (art. 6). En revanche, les bibliothèques échappent à l’obligation consistant à notifier au demandeur une « décision défavorable en matière de réutilisation d’informations publiques » (art. 8).
Savoir plus:
Projet de loi Valter : un (tout) petit pas pour l’Open Data, Sabine Blanc, La Gazette des communes, 19/12/16 ; LOI n° 2015-1779 du 28 décembre 2015 relative à la gratuité et aux
modalités de la réutilisation des informations du secteur public (Légifrance)
3 – On reparle de Google Books
ActuaLitté nous apprend qu’aux États-Unis, plusieurs auteurs font pression pour que l’affaire Google Books soit examinée par la Cour suprême. Pour mémoire, après de multiples rebondissements, en 2013, Google s’est vu accorder par un juge, critères du Fair Use à l’appui, le droit de mettre à la disposition du public, sans verser de compensation, des extraits d’ouvrages encore protégés par le droit d’auteur.L’Author Guild souligne que Google est une entreprise privée qui tire profit de la copie intégrale des ouvrages qu’il a faites (performance du moteur, revenus publicitaires, etc.). Par ailleurs, les bibliothèques n’ayant pas le droit de faire des copies de leurs collections sous droit, pourquoi Google, qui s’est contenté de numériser leurs fonds, aurait-il plus de droits ? C’est le «modèle de l’échange dit « de visibilité » qui propose une exposition, sans rémunérer le créateur du contenu », souligne ActuaLitté. On retrouve également ce modèle dans le conflit qui oppose Google à la presse : le géant de l’Internet est ainsi mis sur la sellette.
Savoir plus: L’ultime recours des auteurs contre la numérisation de Google Books, Clément Solyn, ActuaLitté, 10/02/16 – L’histoire de Google Books (jusqu’au 7/02/13) sur Wikipédia
4 – Loi Liberté de création : taxer le lien vers des images
Parmi les dispositions acceptées par les sénateurs le 12 février 2016 dans le projet de loi sur la liberté de la création, un article 10 quater impose aux « services de moteur de recherche et de référencement » de verser une compensation financière à des sociétés de gestion collective de droits d’auteur pour toutes les pages représentant des œuvres d’art plastiques, graphiques et photographiques vers lesquelles ils établissent des liens.Les sénateurs ont adopté cette mesure contre l’avis du gouvernement qui relevait que cette taxe était incompatible avec le droit européen, la Cour de justice de l’Union européenne ayant affirmé, dansun arrêt du 13 février 2014, que le lien vers une ressource librement accessible sur internet » était libre. La Commission européenne envisage de modifier la législation communautaire a contrario de cette jurisprudence, comme l’indique sa communication du 9/12/15.
Pour les sénateurs français, qui entendaient lancer « un signal », l’arrêt de la CJUE ne portait que sur le lien vers des
articles de presse et non vers des images sous forme de vignettes. La parade de Google risque à nouveau d’être le
déréférencement Notons que d’autres modes de participation à la création que la « taxe au clic » peuvent être
envisagés.
Un serpent de mer que le CSPLA entend clarifier : il a confié, le 5 février 2016,une mission d’ étude sur le droit de communication au public.
Source: Les sénateurs ont voté la taxation de Google Images, Marc Rees, Next-Inpact, 12/02/15
5 – Une obligation de dépôt légal pour le livre numérique ?
Même loi sur la « liberté de création » et mêmes sénateurs pour organiser un dépôt légal obligatoire dulivre numérique contre l’avis du gouvernement. Il est vrai que le dépôt légal de l’Internet, organisé par la loi DADVSI de 2006 et auquel sont soumis ces livres, n’est pas exhaustif même si des travaux visent à l’améliorer.En ce qui concerne le livre numérique, objet aisé à circonscrire, on pouvait imaginer « une collecte exhaustive et une préservation à long terme de la production éditoriale sous forme numérique”. Ce ne
serait pas le cas aujourd’hui, malgré les dispositions prises par la BnF depuis 2006. Le dépôt légal est certes, obligatoire,
mais dispose-t-on de moyens pour sanctionner tout manquement ? Pour le ministère, une telle disposition législative ne s’impose pas.
Sources :Le Sénat renforce le dépôt légal du livre numérique, Livres Hebdo, Anne-Laure Walther, 11/02/16 – Compte rendu analytique du 11 février 2016 (Sénat)
Michèle Battisti
03/03/16