Le 21 novembre dernier, l’ADBU organisait en partenariat avec le MESRI[1] une demi-journée d’étude portant sur « La gestion des données de la recherche dans la valorisation de la production scientifique : l’offre de service des bibliothèques ».
L’enjeu de cette manifestation était de mettre en évidence les services aux chercheurs développés par ou en collaboration avec les bibliothèques, notamment en matière de données produites, et d’éclairer l’appui que pouvaient apporter les professionnels de la documentation aux projets de recherche mobilisant la manipulation de ces données.
Deux exemples étrangers – Utrecht et Cambridge – et plusieurs études de cas français ont ainsi été présentés à un public hétérogène composé de bibliothécaires mais également de vice-présidents et directeurs recherche de plusieurs établissements.


Retour sur cet événement, à travers le témoignage de trois directeurs de département du Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) présents ce jour-là :

  • Gaël Clément, directeur du Département « Origines et Évolution »
  • Frédérique Chlous, directrice du Département « Homme et Environnement »
  • Jian-Sheng Sun, directeur du Département « Adaptations du Vivant »

Et ceux d’Hélène Keller et de Gildas Illien, respectivement Chef du service « Recherche, Enseignement, Expertise » et Directeur des bibliothèques du Muséum.


Que retenez-vous vous de cette demi-journée d’étude consacrée à l’offre de service des bibliothèques pour la gestion des données de la recherche ?

Gaël Clément : Cette demi-journée a été instructive à plusieurs niveaux. Les différents intervenants, judicieusement choisis, nous ont permis d’être informés du large panel d’actions – concrètes – entreprises sur le sujet dans trois pays européens. Il était particulièrement intéressant de prendre connaissance des différentes politiques mises en œuvre dans des structures universitaires de tailles distinctes, avec des temporalités et des parcours décisionnels très différents.
Hélène Keller : En effet, deux types d’expériences nous ont été présentées. Les expériences néerlandaises et anglaises, très abouties, avec des services à la recherche déjà bien constitués et des plans de gestion de données intégrés à la conception même des projets de recherche, et trois expériences françaises plus modestes, mais surtout plus ponctuelles portant sur un accompagnement expérimental de projets de recherche précis, pas nécessairement exportable ou généralisable, ni intégré à une offre de service globale.
Frédérique Chlous : Pour ma part, j’en retiens que si les nouvelles approches de gestion des données de la recherche transforment le travail des bibliothécaires, elles vont également changer les manières de faire des chercheurs et ceci certainement plus en profondeur qu’on ne le pense.
Dans le domaine des SHS, que je connais le mieux, il me semble que cela peut changer tout d’abord le calendrier de la recherche puisque celui-ci devra prévoir le temps nécessaire à la préparation des plans de gestion de données qui accompagneront les projets. Se pose aussi la question de l’impact sur nos techniques d’enquête : cela ne risque-t-il pas de nous détourner de certaines formes de données dont la collecte et le traitement sont moins aisés à anticiper ? Il nous faudra pourtant conserver la démarche inductive qui caractérise le travail de l’anthropologue, qui doit pouvoir s’adapter constamment au terrain. L’impératif des plans de gestion de données devra donc pouvoir composer avec les marges d’incertitude et l’imprévisibilité inhérentes à la démarche de recherche.

Pour favoriser le développement de ces nouvelles manières de faire des chercheurs, ne devrait-on pas intégrer la question de la gestion des données de la recherche dans la formation de ces derniers ?

Jian-Sheng Sun : Cette demi-journée d’étude le confirme effectivement, la formation au « Research Data Management » devient absolument indispensable pour nos enseignants-chercheurs et nos étudiants, qu’ils soient en master, doctorants ou post-doctorants. Comprendre le cycle de vie des données, être sensibilisé et formé à la préparation de Data Management Plans pour les futurs projets sont des compétences que les jeunes chercheurs seront peut-être les plus à même de diffuser dans la culture et les pratiques des laboratoires. De même que les aspects de propriété intellectuelle – brevets, embargos temporaires, etc. – et les questions éthiques, qui ont d’ailleurs été assez peu abordés par les intervenants, méritent d’être inscrits dans le cadre d’une réflexion et d’une formation sur les données de la recherche.
Gaël Clément : Au-delà de la nécessaire formation des chercheurs, je considère qu’il faut développer une réflexion globale sur l’éthique de la mise en commun des données et la diffusion – libre ou encadrée ? – des résultats de la recherche. Or, les interventions de cette demi-journée d’étude ont montré des politiques très hétérogènes et menées, semble-t-il, de manière quasi indépendante à différentes échelles. Sans atteindre le niveau européen, un projet commun des tutelles des UMR a été abordé par Monsieur Alain Beretz[2]. Mais il n’est qu’initié. Il est en effet grand temps de coordonner les forces et les décisions au niveau national afin de contribuer à la politique internationale, inéluctable à moyen terme, de la gestion de la donnée de la recherche.
En cela, les échanges ont été très intéressants, en particulier sur le besoin en moyens humains et financiers pour le développement de nouvelles approches de la gestion de données, dont l’élargissement des compétences et l’orientation des activités des personnels des bibliothèques. Autre besoin, celui de développer de nouvelles normes de reconnaissance des activités de la recherche, autres que les facteurs d’impact des revues scientifiques.

Cet événement vous permet-il d’envisager la mise en œuvre d’actions spécifiques au Muséum national d’histoire naturelle ?

Gildas Illien : Le Muséum vient de connaître une profonde réorganisation dont l’un des objectifs est de renforcer les synergies entre ses différentes missions et composantes. A la bibliothèque, nous avons créé l’été dernier un service dédié aux chercheurs. La plupart des responsables sont nouveaux et partagent l’envie de rebattre les cartes au profit de relations de travail qui privilégieront des enjeux forts de la science de demain tels que l’Open Access, l’interopérabilité et l’ouverture des bases de données ou le TDM. Mais nous avons également tous besoin de monter en compétence sur ces sujets et de développer un vocabulaire commun : ce type de manifestation est un format adapté à nos besoins. C’est aussi un moment de partage qui aide à la formation d’une culture commune de la donnée.
La matinée nous a permis de prendre quelques distances avec le quotidien et les spécificités de notre établissement pour imaginer d’autres formes de coopération que celles, classiques, qui tendent à cantonner la bibliothèque dans un rôle de fournisseur de documents.
Frédérique Chlous : Cette matinée m’a fait effectivement réfléchir à différentes actions qui pourraient être conduites au sein des départements scientifiques du Muséum afin de faciliter l’appropriation de ces sujets. Je n’ai pas tranché, mais il semble y avoir au moins deux formes à envisager. Des ateliers thématiques qui permettraient à des enseignants-chercheurs et chercheurs de se saisir de ces sujets à partir d’exemples concrets dans leur discipline, de les alimenter, les traduire et de les diffuser au sein de leur UMR. Des projets pilotes qui permettraient ensuite de diffuser des compétences et des pratiques sur la base d’une expérience partagée. Pour le département Homme et Environnement, de tels projets pourraient concerner la constitution de corpus numériques à partir d’archives scientifiques (comme celles de Théodore Monod), les collaborations engagées dans le cadre d’un projet financé par le Ministère de la Culture avec la bibliothèque et des institutions culturelles autour des sciences participatives, ou encore des projets dans le domaine de l’archéologie qui permettraient de croiser les questions matérielles, juridiques et éthiques.
Gaël Clément : Plusieurs actions me semblent envisageables au niveau de notre établissement. Nous pourrions communiquer sur l’obligation d’un plan de gestion des données dans toute demande de fonds publics, former les étudiants et les chercheurs à la rédaction de ces PGD et nous appuyer sur les compétences de personnels de l’ingénierie de projets et des bibliothèques. Il faudrait également, par des séminaires, des ateliers ou des conférences, initier et faciliter des échanges en interne sur l’accès ouvert aux données et résultats de la recherche pour une science augmentée et plus éthique, et pour une libre circulation de la connaissance. Enfin, il nous faudrait nous appuyer sur des articles de lois tels que les articles 30 et 38 de la Loi pour une République numérique.
Gildas Illien : Comme en témoignent mes collègues, nous allons rapidement rebondir sur les expériences qui nous ont été présentées afin d’envisager, en collaboration étroite avec la direction générale déléguée à la recherche, à l’enseignement, à la valorisation et à l’expertise du Muséum, les modalités concrètes qui nous permettront de bâtir des actions propres au développement de ce type de services et de collaborations dans le domaine des données : campagnes et supports de sensibilisation, ateliers thématiques orientés disciplines, projets pilotes, formation des doctorants.
[1] Ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation
[2] Directeur général de la Recherche et de l’Innovation, MESRI
Crédit photo : Affaires de image conçu par Jcomp – Freepik.com

recevez tous les mois les dernières nouvelles de l'adbu !

  • Ce champ n’est utilisé qu’à des fins de validation et devrait rester inchangé.